Fresh Boogie, en quête de liberté artistique
auteur: mehdi bouttier
Son EP « Papillon », son processus de création, son collectif Sussol, Fresh Boogie se livre et exprime ses grosses ambitions.
Pour 2025, Culture Urbaine met encore plus la lumière sur les artistes émergents en lançant une série d’interviews avec ces nouveaux talents.
À sa sortie le 15 novembre 2024, « Papillon » nous avait marqués par sa narration inédite, son orchestration teintée de jazz et autres influences. Son auteur, Fresh Boogie, y développe une vraie esthétique. L’occasion était trop belle pour rencontrer le jeune rappeur, issu du collectif Sussol et
comprendre son travail.
La rencontre s’est déroulée lors d’une froide matinée de décembre, dans son quartier des 3T (pour Trois Tilleuls, à Watermael-Boitsfort), là où tout a commencé pour Fresh Boogie, et
qui continue à l’inspirer.
Culture Urbaine : « La première chose que j’aimerais savoir, c’est quels sont tes premiers souvenirs de musique ?
Fresh boogie:
« Les longues balades en voitures avec mes parents, pour aller en vacances ou visiter de la famille, c’est le premier truc qui me vient. Ils écoutaient aussi bien Aznavour, que du rock comme les Pink Floyd. Ma mère pouvait aussi mettre du R&B.
CU : Est-ce qu’ils t’ont éduqué à une culture musicale assez large ?
Pas éduquer directement, mais comme ils écoutaient la musique qu’ils kiffaient, avec mes frères, par défaut, on l’a aussi écouté. Par contre, mes parents n’écoutaient pas trop de rap,ma mère un peu, mais c’est venu en primaire avec mes potes. C’est comme ça que je suis tombé dedans.
J’ai lu que tu as commencé à écrire dès tes 15 ans. C’était déjà des textes de rap ?
Ouais. D’ailleurs en croisant un pote d’enfance dans le bus, ça m’a rappelé une anecdote saugrenue. En primaire avec deux autres gars, on formait un groupe et on rappait à la récré. Ce n’était pas sérieux, mais il y avait déjà le kiffe du truc et aussi l’ambition de faire de la musique.
Au final, c’est arrivé tôt chez toi cette envie d’écrire et de rapper.
Ouais de fou. Quand j’étais petit, c’était vraiment pour raconter des conneries. À 7 ans, j’insultais des daronnes pour rien [rires].
"Concrètement, à 15 ans, c’est vraiment le moment où j’ai pris un carnet, un Bic et commencé à écrire ce que j’avais dans la tête."
Et c’est à quel moment où tu te mets à faire de la musique ? Dans le sens où il y a une différence entre écrire et poser ses textes pour faire une chanson.
J’ai commencé à 16-17 ans, pas longtemps après mes premiers textes. En gros, j’ai commencé le rap via deux potes à moi, on allait dans le local musique de notre école pour s’amuser. Une des deux meufs m’a parlé de son cousin qui avait un studio et m’a proposé d’aller chez lui pour enregistrer. J’étais grave
chaud, mais ça prenait beaucoup trop de temps à mon goût. Donc, je me suis débrouillé pour acheter un Mac, une carte son, du matos pour m’enregistrer chez moi. J’ai appris tout seul à m’enregistrer, à mixer mes trucs. Au début, tu commences avec les prods Youtube. Petit à petit, tu prends confiance en toi. C’est comme ça que j’ai commencé la musique.
En fait, dès le départ, tu avais une démarche de débrouillard.
Ouais d’autodidacte, un peu dans mon coin. Je racontais pas trop aux gens que je rappais, j’suis plutôt pudique par rapport à ça. Je fais grave une dissociation entre ma vie privée, dans le rap et professionnelle. J’aime pas trop mélanger les trois.
Tu sépares toujours le rap et ta vie en dehors ?
Ouais un peu quand même. Après les gens au quartier commencent à le savoir. Mais j’aime pas trop mettre en avant que j’suis un rappeur.
Pour arriver à ton nouvel E.P., ce qui m’a frappé direct comparé à ta précédente sortie, la « POMPELMO TAPE », c’est qu’on ressent une recherche artistique plus poussée. Quelle a été ton approche musicale pour « Papillon » ?
Pour comprendre « Papillon », il faut remonter à la « POMPELMO TAPE ». A ce moment, c’était un été, j’étais dans un bon mood, avec l’envie d’écrire et de rapper. J’enregistrais dans le studio de mon pote Kapena, chez sa daronne. Au fur et à mesure, j’ai construit ce projet par défaut, car j’avais de l’inspi…
C’était comme une cours de récréation ?
Oui, c’était pour m’amuser. Il n’y avait pas d’idée directrice derrière, de le promouvoir, de faire des clips et tout. Juste, je faisais des prod chez moi, j’écrivais dessus, dès que j’avais fini mon texte, j’enregistrais en studio. Petit à petit, on est arrivé à 8 titres, ça a donné la « POMPELMO TAPE ».
Avec le recul, je me dis que c’est toujours un bon projet rap, un 8 sur 10 [sourire]. Je le vois comme une bonne carte de visite, où j’ai pu montrer mes influences, avoir des morceaux piliers, mais ça tournait trop en rond. Dans le sens où bah c’est bien rappé, les prods sont bien mais ça s’arrête là…
Tu le trouvais trop classique peut-être ?
Ouais, c’est ça. À l’époque de la sortie, on rentrait dans la période COVID et j’ai remarqué que le rapport des gens avec la consommation de musique a changé. Il y a eu comme un rapport malsain, maintenant on veut tout rapidement. Il y a eu de bons trucs dans les sorties rap, mais aussi beaucoup de merde, de trucs jetables. En parallèle de ma sortie, après plusieurs mois de réflexion, je n’étais pas pleinement satisfait de moi-même. J’avais besoin de creuser artistiquement. Je défends cette thèse qu’aujourd’hui, si tu veux te revendiquer artiste, t’es obligé de refléter un minimum sur ton art, celui des autres et l’art en général. C’est à partir de ces réflexions personnelles et des échanges que j’ai eu avec mes potes artistes, qu’est née l’idée de « Papillon ».
J’ai réuni Ubermace, mon pote de son depuis longtemps, responsable rythmique et Furyo, un gars issu du groupe de rock bruxellois Nemode Band. Avec eux, je voulais qu’on construise ce projet différent, avoir une autre méthode de travail en donnant plus d’espace à la production et avoir un résultat moins classique.
Pendant l’été 2022, j’ai enregistré des voix dans ma chambre avec mon petit micro sur des prods Youtube. J’ai isolé les voix, puis je les leur ai envoyées via Google Drive. Ils avaient juste un BPM et une gamme à respecter pour composer sans référence de prod. À partir des voix, Furyo commençait une base
instrumentale, puis l’envoyait à Ubermace qui mettait ses intentions rythmiques et ça m’inspirait de nouveau pour écrire par dessus. On a construit « Papillon » en trio, à s’entre influencer les uns les autres et cela a créé une dynamique vraiment chouette.
Au début du processus, tu ne sais pas trop à quoi va ressembler le projet. Tout comme si j’avais bossé avec d’autres instrumentistes, d’autres percussionnistes, ça aurait eu un résultat totalement différent. En ayant poussé à la production, je trouve que le pari est relativement réussi. Ça fait deux ans et demi que je
l’écoute et je suis content du résultat.
Attends, ça fait 2 ans que tu travailles dessus ?!
Ouais, j’ai vraiment pris mon temps. Et ça revient à mon explication du début par rapport à notre consommation de la musique. « Papillon », c’est comme un signal envoyé aux gens que parfois pour faire de grandes choses, ça prend du temps. A force de consommer de plus en plus, vous ne laissez pas vos artistes respirer et vivre. Fondamentalement, la vie c’est ton inspiration. Si elle ne se résume qu’au rap, tu n’es plus un rappeur.
Sur l’EP, on ressent différentes influences, aussi bien jazzy, que 2step. Est-ce que chacun amenait ses influences et vous jugez ensemble ?
Vraiment, je leur ai laissé carte blanche, du moment que ça me plaise. Même pour le visuel de « Mon cousin l’étranger », j’ai donné les mêmes consignes des musiciens à Théo Guerret qui réalise mes clips et membre de mon collectif Sussol. Après on a regardé des films ensemble pour s’inspirer, trouver des idées,
mais je l’ai laissé faire.
Et le résultat est assez cinématographique, ça marche plutôt bien.
J’aime bien aussi le résultat et comme Thomas est dans le cinéma, c’est normal.
Tu m’as raconté ce travail effectué sur les prods, j’ai aussi senti une volonté particulière de mettre en avant ta voix, tu chantes davantage...
Pour moi, c’est plutôt l’inverse, mon envie était de mettre la production en avant. J’invite les gens qui ne l’ont pas encore écouté, à le découvrir au casque ou si l’on a chez soi de bonnes enceintes.
Pour t’expliquer comment le moment du mix était important, pour les voix, il devait y avoir une dizaine de pistes. Tandis que pour les prods, on était à facile une vingtaine de pistes pour la plus simple à quarante-soixante pour la plus compliquée. C’était important de rendre l’ensemble cohérent pour l’auditeur; c’est pour ça qu’on s’est bousillé au mix.
Est-ce que tu continues à travailler avec cette méthode de travail ?
Ouais. Récemment, avec mon gars Nesis, on a fait une séance studio. On a bossé un son à partir d’une prod Youtube, j’ai composé dessus et on a posé.
Ah oui donc toi aussi tu composes ?
Tout à fait. Après, je ne pense pas être le meilleur beatmaker de la terre, mais ça me permet d’avancer. Comme au niveau des compos, je n’ai pas encore trouvé chaussure à mon pied, je continue à tester des trucs. Les compositeurs ont parfois du mal à capter ce que je veux. En fonction de mes humeurs, je peux
paraître compliqué…
Tu es exigeant quoi. Après, ça signifie que tu sais où tu veux aller, c’est plutôt une bonne chose.
Artistiquement, que ce soit au niveau musical ou visuel, je sais dans quelle direction, j’ai envie d’aller, c’est clair.
Qu’est-ce qui représente pour toi ce terme Papillon ? Qu’est-ce que t’as voulu signifier avec ce mot ?
L’inspiration première, c’est Kendrick Lamar, « To Pimp a Butterfly », c’est mon album préféré. J’ai traduit le mot ‘butterfly’, car ce mot m’évoque à la fois un sentiment de légèreté, il exprime mon envie de me libérer artistiquement avec les gens autour de moi. Et aussi, j’aime la sonorité du mot, je la trouve
jolie. D’ailleurs, il m’est venu tout au début de la création. C’est la première certitude que j’avais avec tout Sussol: l’EP va s’appeler « Papillon ».
Justement, je rebondis sur ton équipe, Sussol. Est-ce que tu peux nous présenter le collectif ?
On se définit comme une agence créative dont Sussol est la maison mère. On est subdivisé en trois branches : Kapena est le pôle son et audiovisuel. Okia touche plus à tout ce qui est visuel (photoshoot, graphisme, clip, documentaire). Et enfin, The Lab pour la partie événementiel. Pour cette partie, on était pas trop actif en 2024 mais c’est dans les ambitions pour faire des plus gros évents en 2025.
C’est toi à l’origine du collectif ?
Non. Pour revenir sur l’histoire du début, Sussol, c’était trois gars vidéastes, Théo, Juju et Jerry qui voulaient se lancer dans la réalisation de clips. De mon côté, j’étais déjà dans le son avec Kapena Records. Comme les trois zozos cherchaient un artiste à clipper, Ubermace nous a connecté, on s’est rencontré, le feeling est bien passé et c’était parti ! On se le dit souvent, mais comme j’suis le premier artiste que Sussol a clippé, c’est un peu grâce à moi que l’aventure a commencé.
Avec Kapena, on leur envoyait des artistes qui avaient besoin de clip et pareillement s’il connaissaient des gens qui avaient besoin d’un studio. En plus des échanges de bon procédés, on discutait de l’idée de rassembler nos forces et de faire quelque chose de grandiose [sourire]. De mon côté, après mon bachelier,
j’ai arrêté mon master en cours d’année, car ça m’emmerdait et j’avais besoin de perspective d’avenir. Donc on s’est posé avec les gars de Kapena Records, les trois clippeurs et The Lab. C’est lors de cette soirée, le 5 mai 2023, la date reste gravée dans ma tête, qu’on a créée Sussol.
Vous êtes plein d’ambition !
En parallèle de vouloir travailler avec d’autres artistes ou des marques, on a envie de pousser nos concepts. On a The Lab pour les soirées, La Vitrine où on invite un artiste à performer. Chacun est technicien et un peu artiste donc tout le monde a ses projets persos. Avant tout, on est onze potes soudés, avec l’envie de se donner de la force et de pousser nos projets.
Est-ce que vous avez une inspiration commune pour le collectif ?
On a une offre très spécifique sur le marché, qui allie le côté artistique, à l’aspect technique de nos taf respectifs. Dans les réunions, on parle beaucoup de ‘rebranding’ pour structurer Sussol. On a évoqué la structure de Kendrick Lamar, pgLang. Mais l’objectif ultime, c’est de créer un tampon Sussol avec une DA neutre. Dans le sens où lorsqu’un artiste, une société qui vend des voitures ou une compagnie de cirque viennent vers nous, pour du son, du visuel ou organiser un évent, c’est pour notre travail qualitatif et stylé, avec une reconnaissance dans le milieu.
Dans le collectif, est-ce que t’es le seul rappeur ?
Non, il y a Nebtis qui rappe de ouf. Il a sorti en décembre « Bitch Please never stop vol. 3 ». Après, il est plus cainri dans sa shit, il fait ça bien.
Comment tu vois la suite pour « Papillon » ? Tu vas continuer à l’exploiter avec des clips ou sur scène ?
J’aimerai beaucoup le défendre sur scène. D’ailleurs, je cherche un bookeur donc je lance un appel [rire]. J’ai de grosses ambitions pour la scène, mais faut me donner les moyens et l’énergie. J’aimerai vraiment le travailler avec des musiciens. Tout ce qui touche à mon art, j’ai à cœur de m’y impliquer.