Interview MHØ, l’équilibre entre émotion et résilience
auteur: mehdi bouttier

En octobre 2022, lors d’un open mic organisé par Anticyclone, je découvrais MHØ.
Sa sensibilité mélangée à une sorte de rage au micro m’ont tout de suite marqué. L’année dernière, elle sortait son premier EP « Céleste », une belle carte de présentation de son univers. Sa musique mélange tout autant la force du rap dans son interprétation, que le chant et des influences électroniques. Au fil de ses apparitions sur scène, son énergie débordante me marquait, comme notamment lors de sa release party donné Chez PIAS en avril 2024. L’envie de l’interviewer a suivi lorsque j’ai pu établir un premier contact avec elle.
En octobre 2024, nous nous sommes rencontrés dans un café du parvis Saint-Gilles. Pendant plus d’une heure, MHØ a relaté son parcours, guidé par l’amour de la musique, ainsi que sa quête personnelle pour s’affirmer en tant qu’artiste. Avec Bruxelles comme terre d’accueil, c’est ici que sa carrière d’artiste s’est accélérée grâce aux différentes rencontres qui ont jalonné son parcours. Une discussion sans filtre, qui malgré la temporalité reste d’actualité pour connaître une artiste unique. D’ailleurs, Mhø fait son retour sur scène, le 10 mai au festival Chez Monique à Locmélar (France) et le 20 juin, pour la Fête de la musique FWB, sur la place M. Van Meenen, à Saint-Gilles.
Culture Urbaine : « Salut MHØ, on va retracer ton parcours et revenir au début. Quels sont tes premiers souvenirs avec la musique ?
mho:
Mes premiers souvenirs avec la musique, c’est avec mon père, il était guitariste. Son écriture était à la fois poétique et ancrée dans le réel, et je pense que par cet équilibre il écrivait des chansons à la maison pas vraiment de manière professionnelle. Il a influencé ma propre façon d’écrire. Mes premiers souvenirs, c’est lui à la guitare, et moi qui commence à chanter à ses côtés..
CU : Donc tes premiers souvenirs avec la musique, c’est tout de suite la pratique ?
Oui c’est vrai. Après, j’ai aussi le souvenir que mes parents écoutaient beaucoup de musique comme U2, les Cranberries, Deep Purple, beaucoup de groupes de rock. Les dimanches matin, c’était réveil en musique sur la bonne chaîne hi-fi de la maison. Il y avait ce rapport où la musique était tout le temps présente, tant à la maison, que pendant les voyages en voiture. J’ai vraiment baigné dedans, entre mon père qui jouait et le fait que mes parents étaient de grands auditeurs.
Est-ce que ça t’a amenée à apprendre un instrument ?
Et comment tu t’es mise à faire de la musique ? En intégrant des groupes ?
À travers l’académie de musique de ma ville, il y avait un programme qui permettait aux jeunes de se regrouper pour apprendre la musique ensemble et former des groupes. Mon premier projet s’appelait Eden, puis on a changé pour Nemesis. C’était un groupe 100 % féminin, ce qui était assez rare à l’époque. Il y avait une batteuse, une guitariste, moi à la deuxième guitare, une bassiste et des chœurs. On reprenait des morceaux des Red Hot Chili Peppers et une chanson de « Freaky Friday ». Le groupe a duré un an et demi, pas longtemps, mais ça reste une expérience marquante. C’était la première fois que je vivais la musique dans un cadre collectif, où il fallait s’accorder avec les autres, trouver un équilibre, se répartir les rôles.
On avait même eu l’occasion de faire quelques scènes, souvent en partageant l’affiche avec un autre groupe de mecs de notre lycée. On se croisait en soirée, on traînait ensemble, il y avait une vraie petite effervescence autour de la musique. C’était une période hyper formatrice, à la fois insouciante et excitante, où on jouait pour le plaisir sans trop se poser de questions.
Tu me parles d’univers assez rock, de chanson française. Comment est venu le rap ?
Qu’est-ce qui t’as plu dans le rap par rapport au rock ou à la chanson française ?
C’est resté dans un cercle musical quand même…
Est-ce que ton envie était de te faire connaître ou du moins diffuser ton art ?
C’était plus innocent que ça. J’ai tellement été élevée avec l’idée que la musique ne pourrait pas être un chemin sérieux et pro, une idée que je déconstruis toujours maintenant, ce sentiment d’illégitimité. À ce moment-là, je prends juste le rap comme un canal d’expression, qui me permet de m’exprimer avec mon cœur, sans trop de question. Et parfois, j’ai ce sentiment « d’empowerment », je me dis qu’il pourrait se passer quelque chose, mais ça reste timide.
Et pas simplement l’envie de s’assumer comme rappeuse ?
Je voyais ça comme un terrain de jeu libérateur, sans vraie ambition. Mes potes, eux, avaient ces envies. Par mimétisme, j’ai un peu adopté leur attitude. Mais au fond, c’était surtout ma manière de m’exprimer, ma voix. C’est là que j’ai compris que ma voix était mon instrument. Je l’ai explorée, découvert ses palettes. Avant, je restais dans quelque chose de simple, de gentil. Là, j’ai commencé à faire des adlibs, à chanter, kicker, exprimer des émotions variées. C’est devenu ma palette, celle que je développe encore aujourd’hui. À l’époque, les concours étaient surtout une manière de prendre la température, une façon de voir les réactions, plus qu’un besoin d’être entendue.
Lorsque tu arrives à Bruxelles, tu gardes ce désir de rapper ?
À Bruxelles, tu connaissais du monde ?
Une seule personne : ma pote Telma, qui écoutait mes sons en boucle, même sans qu’ils soient sur les plateformes. Je viens la voir plusieurs week-ends à Bruxelles. Pendant ces séjours, je découvre cette ville incroyable et je me dis : « Je veux venir ici. » Elle me pousse aussi, en mode « Viens, ça va être génial. » Sans grands plans en tête, je savais juste que j’aimais le rap et le théâtre belge, leur façon d’aborder la société. Leur culture m’attirait. Je tombe un court laps de décompression puis, entre deux vagues, je suis venue en Belgique pour me re-confiner. Je me retrouve en colocation dans une sous-loc à Bruxelles.
Dans cette grande chambre, j’écris et je maquette 2 nouveaux morceaux « Carwash » et « Noyés ».
Comment tu intègres la sphère rap de Bruxelles ?
À l’époque, j’ai une coach qui me suit depuis un moment, une ancienne rappeuse qui me dit de participer à des cyphers, des open mic. Au début, c’était hors de question, c’était pas pour moi. Le déclic intervient avec Mel Moya, slameuse et poétesse de Liège, elle est incroyable, big up à elle. Elle me contacte suite à quelques concerts que je fais…
Ah oui, donc tu arrives à faire des concerts. Est-ce que tu as la même démarche qu’à Paris pour chercher des opportunités ?
Dans un milieu majoritairement masculin, comment se passent ses expériences ?
Je t’ai découvert au sein de la deuxième édition d'Anticyclone [Collectif Hip- Hop inclusif qui organise des open-mic/ cypher mettant en avant les artistes FINTA (Femmes, Intersexes, Non Binaire, Agenres)]. Comment es-tu rentrée dans le collectif ?
Tu avais déjà l’idée de sortir un EP à la première édition d’Anticyclone, en janvier 2023 ? Comment est née cette aventure ?
Quand j’ai commencé à avoir plusieurs chansons, j’avais l’impression que c’était un passage obligé. L’EP, c’est une proposition où tu réunis des sons, avec plus ou moins de cohérence. On connaît les premiers EP avec leur force et leur faiblesse. Puis, du côté professionnel, c’est à la fois une carte de visite et une condition dans beaucoup d’appels à projet.
Comme j’ai envie de créer quelque chose de cohérent, ça devient un casse- tête pas possible. Je découvre que je suis perfectionniste, mais que je ne sais pas non plus trop où je vais. J’ai mis un an à le sortir alors que les sons existaient. Tu n’imagines pas le nombre de tracklist pour cet EP que j’ai fait, il doit y en avoir entre 35 et 50 tu vois !
Tu avais beaucoup de morceaux ?
J’avais une dizaine de morceaux. Certains étaient sortis en single et je me demandais s’ils avaient leur place sur l’EP, puis finalement non. Ensuite, j’écrivais
une nouvelle chanson qui changeait toute la couleur du projet, rendant d’anciens titres obsolètes. Un vrai casse- tête. J’ai tendance à penser en arborescence, à envisager toutes les options, ce qui peut me prendre énormément de temps et d’énergie. Pour mon deuxième projet, j’essaie de mettre en place une nouvelle méthode pour éviter de retomber dans ce piège.
C’était une année intense, mais j’ai beaucoup appris. En parallèle, j’enregistrais mes morceaux en studio, puis il fallait les mixer, souvent dans des endroits différents. L’objectif final était de tout rassembler pour créer un mix cohérent, malgré un processus un peu chaotique. À ce même moment, je reçois le feu vert pour un subside de la FWB (Fédération Wallonie-Bruxelles). C’est trop bien ! Avec ce budget, je commence à rêver en grand pour la release party : un lieu au top, des pros invités… Tout devient plus concret. J’ai l’impression que ça va changer ma life cette sortie. On me parle de Chez PIAS, un lieu prestigieux avec un super son. Je tente ma chance et contre toute attente, ils acceptent, alors que mon projet n’est pas encore vraiment reconnu. Tout se met en place et là, je découvre ce que c’est d’organiser une soirée de A à Z, avec tous ses aspects.
Tu découvres toute la charge de travail...
Tu te consacres à terminer ton EP pendant l’année 2023 et tu as directement l’envie de le présenter sur scène. Pourquoi cette optique ?
J’ai été biberonné à Apérohit, où j’ai fait mes premiers pas. Là-bas, la logique était claire : en tant qu’artiste émergent, tu prépares ton projet, puis ta release party. C’était presque un passage obligé, donc je ne me pose pas de questions. Pour moi, sortir mon EP et organiser une release party, c’était une évidence. Toute l’année 2023 a été dédiée à finaliser l’EP, obtenir des moyens et trouver un lieu. À la base, je voulais faire ma release party en novembre 2023… Finalement, elle se tient en avril 2024, tellement il y a des obstacles. Et puis, comme je te disais, ça me stressait beaucoup pendant cette période, je pouvais être exécrable, car j’avais beaucoup sur les épaules. Je suis contente d’être passée par là, mais qu’est-ce que ça fait du bien que ça soit terminé (rires).
Tu m’as parlé de ton équipe artistique, tes musiciens et tout. Comment se passe la relation avec ton manager, William ?
Ça intervient beaucoup plus tard. Au début, on n’est pas du tout dans une relation pro, puis j’apprends qu’il fait de la vidéo. C’est un réalisateur, il a fait des études à la Cinéfabrique, il est hyper talentueux. Je vois ses courts-métrages, j’adore. Un jour, il me dit qu’il n’aime pas du tout l’image qu’on renvoie de moi à travers les photos et vidéos. « C’est pas comme ça que je te vois. » Il aimerait que les gens me perçoivent autrement, comme lui me voit. On décide de bosser sur ce développement visuel. On commence à vouloir créer une vraie identité.
On enregistre la live session de « Les Oiseaux » ensemble, et là, c’est un moment incroyable. Je découvre le premier montage et, pour la première fois, je me reconnais à l’image. Aujourd’hui, cette vidéo, j’en suis fière. C’est ce que je veux montrer aux pros, c’est la direction vers laquelle je veux continuer à aller. Il arrive au dernier mois de la préparation de la release, j’suis au bout de ma life. Il m’aide sur plein d’aspects, ça me permet de lâcher du lest et comme il le fait bien, j’ai confiance en lui. Sans sa rencontre, je n’aurais pas pu mener à bien ce concert. Par la suite, il continue à faire des choses, même s’a pas de rôle officiel. Pour la préparation du concert au festival Francophone au VK, le 2 octobre, il est coordinateur du concert, nous donne son regard extérieur sur les répèt’. Comme son rôle est central pour le show et pour les pros, on nous dit qu’il a le rôle d’un manager, donc on décide de se faire confiance et let’s go !
Tu me parles de tout ton parcours de professionnalisation, comment ça s’est mis en place ?
Pour revenir sur ta musique, tes textes sont très marqués personnellement, tu parles d’un côté thérapeutique. Est-ce qu’écrire avec le « je » est essentiel dans ton processus créatif ?
Sur l’EP, « Plus rien n’a de sens » détonne comme un morceau très fort sur les violences sexistes et sexuelles, un thème peu entendu dans le rap. Est-ce c’est un morceau que tu as écris dans une démarche pour dénoncer les VSS ou la suite logique d’une écriture personnelle ?
La nuit où j’écris « Plus rien n’a de sens », ça faisait longtemps que je n’avais pas écrit de chanson. Il n’y avait pas de démarche, juste une pulsion. C’était une histoire que j’avais enfouie, qui m’avait rongée de l’intérieur. Ce soir-là, en session, j’entends la prod de Tony Scott, et ce texte sort, comme un besoin urgent d’extérioriser. Rien n’était prémédité.
Au départ, je ne comptais même pas mettre ce morceau sur l’EP. Je l’imaginais plutôt dans un projet à part, pourquoi pas pédagogique, pour en parler avec des groupes d’ados. D’ailleurs, j’ai pu le faire lors d’une conférence avec des jeunes des quartiers nord. Voir des ados de 14 ans concernés par ces questions, c’était intense, mais nécessaire.
Quand je l’ai écrite, je ne mesurais pas son impact. Dès que je la joue en concert, on m’en parle. Elle marque les esprits. Aujourd’hui, c’est devenu un morceau-drapeau. Mais rien n’était calculé. Il y a clairement eu un avant et un après sa sortie.
En 2 ans, tu as écumé pas mal de concerts. Qu’est-ce que ça t’apporte la scène ?
En 2 ans, les choses que ça m’apporte ont beaucoup changées. Au début, je montais sur scène avec un besoin de reconnaissance, une envie de balancer ma
musique en pensant “j’espère que les gens vont la recevoir”. La première fois que je jouais mes morceaux sur scène à Bruxelles, c’était au centre culturel Garcia Lorca, il devait y avoir une soixantaine de personnes réunis dans une petite salle. Je m’amuse et la première réflexion c’est « c’est marrant les gens ne sont pas partis. » Donc ça signifie que ma musique peut intéresser les gens. C’était un beau premier concert.
J’ai eu la chance de faire plein de concerts en démarchant des endroits, contactant des bookeurs, les concerts sont en demi-teinte. Un coup, ça se passe bien, je m’amuse, d’autres où je me mets trop de pression, j’en ressors démolie car je ne suis pas satisfaite. Je crois que pendant longtemps, c’était à la fois une lutte interne, entre un désir de reconnaissance et une confusion en moi des raisons de le faire. Mais c’était un passage obligé, un moyen de tester comment ma musique résonnait chez les gens. Et il y avait un truc de légitimité, pas suffisant pour faire de la scène, je m’en rends compte maintenant.
Ce besoin de légitimité, tu l’as encore ?
Franchement, ça part pas facilement, c’est très long. Ça me soûle car en tant que femme dans le milieu de la musique, il y a d’autres choses à mettre en avant. Mais avec mon parcours de vie, il y a un travail interne que je fais pour embrasser le truc. Depuis 3 ans, c’est devenu ma vie, mon métier, je suis en train de sortir de cette phase là.
Avec le studio des Variétés, j’ai eu des coachings vocaux et scéniques, qui me permettent de construire une trame. J’aborde la scène comme un spectacle plus qu’un showcase où tu fous juste le zbeul. Aujourd’hui je me dis, “tu peux aussi raconter une histoire”.
Tu prépares la suite de Céleste. Qu’est-ce que tu aimerais aborder de différent ?




