Interview MHO, l’équilibre entre émotion et résilience
auteur: mehdi bouttier

En octobre 2022, lors d’un open mic organisé par Anticyclone, je découvrais MHO.
Culture Urbaine : « Salut MHO, on va retracer ton parcours et revenir au début. Quels sont tes premiers souvenirs avec la musique ?
mho:
« Mes premiers souvenirs avec la musique, c’est avec mon papa. Il était guitariste, auteur, compositeur, interprète. Pas du tout de manière professionnelle, il gardait ça à la maison, créait des chansons et les enregistrait. J’ai toujours été fan de lui. Son écriture était à la fois poétique et ancrée dans le réel, et je pense que cet équilibre a influencé ma propre façon d’écrire. Il ne fait plus de musique désormais, à mon grand regret. Mais il est bientôt à la retraite, alors peut-être qu’il s’y remettra. Le fait que j’en fasse, ça lui donne de l’élan. Mes premiers souvenirs, c’est lui à la guitare, et moi qui commence à chanter avec lui.
CU : Donc tes premiers souvenirs avec la musique, c’est tout de suite la pratique ?
Est-ce que ça t’a amené à apprendre un instrument ?
Et comment tu t’es mis à faire de la musique ? En intégrant des groupes ?
À travers l’académie de musique de ma ville, il y avait un programme qui permettait aux jeunes de se regrouper pour apprendre la musique ensemble et former des groupes. Mon premier projet s’appelait Eden, puis on a changé pour Genesis. C’était un groupe 100 % féminin, ce qui était assez rare à l’époque. Il y avait une batteuse, une guitariste, moi à la deuxième guitare, une bassiste et des chœurs. On reprenait des morceaux des Red Hot Chili Peppers et une chanson de « Freaky Friday ». Le groupe a duré un an et demi, pas longtemps, mais ça reste une expérience marquante. C’était la première fois que je vivais la musique dans un cadre collectif, où il fallait s’accorder avec les autres, trouver un équilibre, se répartir les rôles.
On avait même eu l’occasion de faire quelques scènes, souvent en partageant l’affiche avec un autre groupe de mecs de notre lycée. On se croisait en soirée, on traînait ensemble, il y avait une vraie petite effervescence autour de la musique. C’était une période hyper formatrice, à la fois insouciante et excitante, où on jouait pour le plaisir sans trop se poser de questions.
Tu me parle d’univers assez rock, de chanson française. Comment est venu le rap ?
Qu’est-ce qui t’as plu dans le rap par rapport au rock ou à la chanson française ?
Donc, tu te mets à écrire tes premiers textes, à quel moment ils sortent de ta chambre ? Tu participes à des open-mic, des choses comme ça ?
Les open-mics, c’est venu plus tard, quand je suis arrivée en Belgique. À l’époque, à Paris, mon pote Kylie, qui fait du reggae/dancehall, me fait poser sur quelques refrains. Comme je crois en lui, je deviens un peu sa manageuse. Ce n’était pas un gros développement, mais j’apprends sur le tas. Je m’attache à son projet et décide de le faire jouer en concert. Il était une vraie bête de scène, et je me dis que ça pourrait booster sa carrière.
Je m’occupe de son dossier de presse, je démarche, je fais du booking, et je découvre que j’aime bien ce travail dans l’ombre. Plus tard, alors qu’il continue la musique, il me propose une collaboration. C’est la première fois que je pose un texte rap avec d’autres personnes. Comme lui et ses potes kiffent, je prends cette place qu’on me laisse. À partir de là, c’est eux qui écoutent mes maquettes, qui m’encouragent. Ça reste un truc intime, sans vocation à être partagé au-delà de ce cercle…
C’est resté dans un cercle musical quand même…
Oui, mais à ce moment-là, je suis plutôt dans la recherche. Les premières idées avec la rage au ventre, quand tu commences à plus te sentir parce que tu ne t’arrêtes pas d’écrire. C’était lors du confinement, j’étais chez mon père. Je travaille ses maquettes, avec l’idée d’un projet. Cette période de confinement dans ma chambre, m’a fait du bien. Je prends soin de moi, je fais du sport le matin, mange bien, je regarde des documentaires pour me nourrir l’esprit. Et, l’après-midi jusqu’à tard la nuit, c’est la musique. J’essaye de choper des concours, de petits tremplins sur les réseaux sociaux, je fais des freestyles face cam, bref, il se passe plein de trucs. Enfin, j’enregistre un son, que je mixe et clippe dans ma chambre et je le sors sur les réseaux. Le confinement me fait passer un cap avec cette envie de diffuser ma musique.
Est-ce que ton envie était de te faire connaître ou du moins diffuser ton art ?
Et pas simplement l’envie de s’assumer comme rappeuse ?
Je voyais ça comme un terrain de jeu libérateur, sans vraie ambition. Mes potes, eux, avaient ces envies, par mimétisme, j’ai un peu adopté leur attitude. Mais au fond, c’était surtout ma manière de m’exprimer, ma voix. C’est là que j’ai compris que ma voix était mon instrument. Je l’ai explorée, découvert ses palettes. Avant, je restais dans quelque chose de simple, gentil. Là, j’ai commencé à faire des adlibs, à chanter, kicker, exprimer des émotions variées. C’est devenu ma palette, celle que je développe encore aujourd’hui. À l’époque, les concours étaient surtout une manière de prendre la température, une façon de voir les réactions, plus qu’un besoin d’être entendue.
Lorsque tu arrives à Bruxelles, tu gardes ce désir de rapper ?
À Bruxelles, tu connaissais du monde ?
Une seule personne. Ma pote Thelma qui écoutait mes sons en boucle, même sans qu’ils soient sur les plateformes. Je viens la voir plusieurs week-ends à Bruxelles. Pendant ces séjours, je découvre cette ville incroyable et me dis : « Je veux venir ici. » Elle me pousse aussi, en mode « Viens, ça va être génial. » Sans grands plans en tête, je savais juste que j’aimais le rap et le théâtre belge, leur façon d’aborder la société. Leur culture m’attirait. Je tombe un peu amoureuse de la ville et décide de quitter Toulouse. Là-bas, mes études étaient finies, mes relations aussi. Paris a été un court laps de décompression chez mon père pendant le confinement. Entre deux vagues, je viens en Belgique pour me reconfiner. Je me retrouve en colocation dans une sous-loc. Dans cette grande chambre, j’ai ma carte son et là, j’écris 2 nouveaux morceaux et en fait, je prends direct le pas ici.
Comment tu intègres la sphère rap de Bruxelles ?
Ah oui, donc tu arrives à faire des concerts. Est-ce que tu as la même démarche qu’à Paris pour chercher des opportunités ?
Dans un milieu majoritairement masculin, comment se passe ses expériences ?
Je t’ai découvert au sein de la deuxième édition d’Anticylone [Collectif Hip-Hop inclusif qui organisent des open-mic/ cypher mettant en avant les artistes FINTA (Femmes, Intersexes, Non Genrée, Trans, Agenres)]. Comment tu es rentré dans le collectif ?
Tu avais déjà l’idée de sortir à EP à la première édition d’Anticyclone, en janvier 2023 ? Comment est né cette aventure ?
Quand, j’ai commencé à recueillir plusieurs sons, j’avais l’impression que c’était un passage obligé. L’EP, c’est une proposition où tu réunis des sons, avec plus ou moins de cohérence. On connaît les premiers EP avec leur force et leur faiblesse. Puis, du côté professionnel, c’est à la fois une carte de visite et une condition dans beaucoup d’appels à projet.
Comme j’ai envie de créer quelque chose de cohérent, ça devient un casse-tête pas possible. Je découvre que je suis ultra-perfectionniste, mais que je ne sais pas non plus trop où je vais. J’ai mis un an à le sortir alors que les sons existaient. Tu n’imagines pas le nombre de tracklist pour cet EP que j’ai fait, il doit y avoir entre 35 et 50 tu vois.
Tu avais beaucoup de morceaux ?
Tu découvres toute la charge de travail...
Oui à prendre en charge. À ce moment-là, j’ai mon équipe artistique, mon ingé son et deux musiciens avec qui je bosse, mais pas d’équipe pour s’occuper de la partie relation presse par exemple. On m’a donné un budget pour ça, alors j’ai bossé comme une dingue pour avoir un maximum de résonance. J’ai tout optimisé, consciente de la chance que c’était de pouvoir réunir tous ces éléments pour sortir un projet. Avec du recul, je ferais les choses autrement si c’était à refaire, mais cette expérience m’a énormément appris.
Dans cette année 2023 tu te consacres à terminer ton EP et tu as directement l’envie de le présenter sur scène. Pourquoi cette optique ?
Tu m’as parlé de ton équipe artistique, tes musiciens et tout. Comment se passe la relation avec ton manager, William ?
On décide de bosser sur ce développement visuel. On commence à vouloir créer une vraie identité. On enregistre la live session de « Les Oiseaux » ensemble, et là, c’est un moment incroyable.
Moi qui me pensais éternelle insatisfaite, toujours trop exigeante, jamais contente… Je découvre le premier montage et, pour la première fois, je me reconnais à l’image. Ce que les autres avaient fait de moi avant ne me ressemblait pas. Aujourd’hui, cette vidéo, j’en suis fière. C’est ce que je veux montrer aux pros, c’est la direction vers laquelle je veux continuer à aller.
Il arrive au dernier mois de la préparation de la release, j’suis au bout de ma life. Il m’aide
sur plein d’aspect, ça me permet de lâcher du lest et comme il le fait bien, j’ai confiance en
lui. Sans sa rencontre, j’aurai pas pu mener à bien ce concert. Par la suite, il continue à faire des choses, même s’il a pas de rôle officiel. Pour la préparation du concert au festival Francophone au VK, le 2 octobre, il est coordinateur du concert, nous donne son regard extérieur sur les répèt’. Comme son rôle est central pour le show et pour les pros, on nous dit qu’il a le rôle d’un manager, donc on décide de se faire confiance et let’s go !
Tu me parles de tout ton parcours de professionnalisation, comment ça s’est mis en place ?
La passerelle Apéro Hit m’a beaucoup aidé. Ils m’ont donné beaucoup d’outils. Dans le cadre de leur accompagnement, ils m’ont expliqués les différents paliers : l’émergence dans laquelle j’étais, les artistes en développement et la professionnalisation. Comme j’avais la dalle avec de grandes ambitions, ce dispositif me nourrit et m’apprend que ça va prendre du temps avec les différentes étapes. Surtout, ça intervient au moment où je fais un burn-out et démissionne de mon taf. Les médecins m’encouragent à m’investir dans la musique, car ils voient que lorsque j’en parle mon visage change. La musique, c’est ma raison de vivre. Cela faisait très longtemps que j’avais mis en stand-by, avec mon histoire familiale, ça me bloquait. Mais à ce moment-là, je décide de m’investir autant financièrement que personnellement. Et pour mettre toutes les cartes de mon côté, la dimension professionnelle donne du sens au fait que j’embrasse cette vie-là !
Après, cela demande beaucoup de travail, de la patience et l’écoute des professionnels qui me donnent beaucoup de conseils via des dispositifs. C’est un processus long car fidéliser un public, ça prend du temps. J’ai gardé la dalle tout en étant patiente et je suis en paix avec ça.
Pour revenir sur ta musique, tes textes sont très marqués personnellement, tu parles d’un côté thérapeutique. Est-ce qu’écrire avec le « je » est essentiel dans ton processus créatif ?
C’est marrant que tu me parles de ça, parce que je suis en pleine remise en question en ce moment, en plein dans l’écriture du prochain projet. Quand je réécoute l’EP, je ressens ce côté très personnel, presque thérapeutique, mais j’ai l’impression d’en sortir. J’ai envie d’écrire autrement, de raconter des choses plus lumineuses, toujours engagées, mais un aspect moins égocentré. Aujourd’hui, j’ai plus envie d’écrire des histoires, de me décentrer. J’écris avant tout pour me faire du bien, plus que pour délivrer un message. Je suis en pleine mutation. Ce n’est pas simple, parce que mon écriture est instinctive : je laisse venir ce qui sort avec l’instru, je trouve mes flows en écrivant en continu, sans trop réfléchir.
Sur l’EP, « Plus rien n’a de sens » détonne comme un morceau très fort sur les violences sexuelles, un thème peu entendu dans le rap. Est-ce c’est un morceau que tu as écris dans une démarche pour dénoncer les VSS ou la suite logique d’une écriture personnelle ?
La nuit où j’écris « Plus rien n’a de sens », ça faisait longtemps que je n’avais pas écrit de chanson. Il n’y avait pas de démarche, juste une pulsion. C’était une histoire que j’avais enfouie, qui m’avait rongée de l’intérieur. Ce soir-là, en session, j’entends la prod de Tony Scott, et ce texte sort, comme un besoin urgent d’extérioriser. Rien n’était prémédité.
Au départ, je ne comptais même pas mettre ce morceau sur l’EP. Je l’imaginais plutôt dans un projet à part, pourquoi pas pédagogique, pour en parler avec des groupes d’ados. D’ailleurs, j’ai pu le faire lors d’une conférence avec des jeunes des quartiers nord. Voir des ados de 14 ans concernés par ces questions, c’était intense, mais nécessaire.
Quand je l’ai écrit, je ne mesurais pas son impact. Dès que je la joue en concert, on m’en parle. Elle marque les esprits. Aujourd’hui, c’est devenu un morceau-drapeau. Mais rien n’était calculé. Il y a clairement eu un avant et un après sa sortie.
En 2 ans, tu as écumé pas mal les concert. Qu’est-ce que ça t’apporte la scène ?
En 2 ans, les choses que ça m’apporte ont beaucoup changé. Au début, je montais sur scène avec un besoin de reconnaissance, une envie de balancer ma musique et j’espère que les gens vont l’entendre. La première fois que je joue mes morceaux sur scène à Bruxelles, je me rappelle, c’était au centre culturel Garcia Lorca, il devait y avoir une soixante de personnes réunis dans une petite salle, je m’amuse et la première réflexion c’est « c’est marrant les gens ne sont pas partis. » Donc ça signifie que ma musique peut intéresser les gens. C’était un beau premier concert.
J’ai eu la chance de faire plein de concert en démarchant des endroits, contactant des bookeurs, les cocnerts sont en demi-teinte. Un coup, ça se passe bien, je m’amuse, d’autres où je me mets trop de pression, j’en ressors démolie car pas satisfaite. Je crois que pendant longtemps, c’était à la fois une lutte interne, entre un désir de reconnaissance et une confusion en moi des raisons de le faire. Mais c’était un passage obligé, un moyen de tester comment ma musique résonner chez les gens. Et il y avait un truc de légitimité, pas suffisant pour faire de la scène, je m’en rends compte maintenant.
Ce besoin de légitimité, tu l’as encore ?
Franchement, ça part pas facilement, c’est très long. Ça me soûle car en tant que femme dans le milieu de la musique, il y a d’autres choses à mettre en avant. Mais avec mon parcours de vie, il y a un travail interne que je fais pour embrasser le truc. Depuis 3 ans, c’est devenu ma vie, mon métier, j’suis en train de sortir de cette phase là.
Depuis, j’ai travaillé avec Kaer de Starflam comme coach scénique qui me font travailler la scène autrement. Avec le studio des Variétés, j’ai eu d’autres cours vocal et scénique, qui me permettent de construire une trame. J’aborde la scène comme un spectacle plus qu’un showcase où tu fous juste le zbeul, tu peux aussi raconter une histoire.
Tu prépare la suite de Céleste. Qu’est-ce que tu aimerais aborder de différents ?
J’essaye de me concentrer sur l’aspect mélodique, chose que j’avais un peu délaisser quand j’suis rentré dans le rap, mais que j’ai en moins, en venant de la chanson française. Le rap me nourrit toujours dans ma manière d’écrire, ma manière de kicker, mais je creuse d’autres aspects comme les toplines. Avant, mes textes sortaient comme un courant d’eau sur les instrus, maintenant j’essaye de penser la globalité du morceau. Avec mon ingé son Raph et mon beatmaker Tomoyo, on est vachement dans la recherche.
Au niveau des thématiques que j’aborde, j’essaye que ça parte moins de moi mais j’écris plus aux gens. Pas comme une stratégie de comment ça va être perçu mais j’suis plus dans le partage. Musicalement, j’ai envie que ça transparaître différente. Je cherche plus des ambiances, pour que ça soit plus dansant, dans un équilibre rap et électro, c’est ce que j’essaye de trouver.
Le premier texte que j’ai posé s’appelle « Le bruit des neurones », est plus dans la tradition que j’ai déjà fait, du pur kickage. Je retravaille dessus pour lui ajouter des voix. Je m’assume plus en tant que chanteuse. Comme j’ai la chance d’avoir le rap et le chant, autant travaillé avec les deux.










