JeanJass, de Charlouze au toit du rap belge

En tête d’affiche du Grünt festival le vendredi 24 octobre et de l’Urban32 au Botanique, le samedi 25 octobre, JeanJass a su s’imposer au fil des années, tout en sachant se réinventer comme l’une des figures de proue du rap belge 

Auteur: Mehdi Bouttier

Dans une vidéo de Konbini, issue du concept Music Club, JeanJass détaille les albums qui ont marqué sa vie. Durant une vingtaine de minutes, le rappeur-beatmaker partage son amour pour des artistes aussi variés que Gang Starr, Roc Marciano, Bob Marley ou encore Cesária Évora. Au-delà de prouver une culture musicale solide, JJ y révèle une passion authentique pour cet art. C’est sans doute l’une des clés de la longévité de sa carrière.

En effet, depuis ses débuts en groupe avec Exodarap, puis les succès du duo qu’il forme avec Caballero, JeanJass a su traverser les époques en s’imposant comme l’une des figures de proue du rap belge.

De l’école de la rime au duo gagnant

Au début des années 2010, une nouvelle génération de rappeurs biberonnés au boom-bap des années 90, émerge en Belgique. Assoiffés de micro et armés de rimes soignées, des collectifs comme la Smala, Exodarap ou encore l’Or du Commun incarnent cette fougue et ce renouveau.

Dépar One, avec ses freestyles filmés pour Give Me Five, devient un témoin privilégié de cette effervescence. Il invite ces MCs à rapper devant sa caméra, offrant une vitrine à des talents comme JeanJass, souvent présent lors de ces sessions. Parmi elles, un freestyle légendaire réunit James Deano, Rizla et Seyté (La Smala), Caballero, mais aussi Nekfeu et Alpha Wann.

Pour ses premiers pas en solo, JeanJass JJ sort l’EP « Goldman » (2014) entièrement produit par ses soins. lui. Ce projet sert de carte de visite : un style où les textes oscillent entre introspection et second degré, ponctués de name-drops de footballeurs, le tout posé sur des productions marquées par les boucles de samples entêtantes.

Une alchimie unique

L’impact auprès du public reste d’abord limité, mais JeanJass impose petit à petit en Belgique. C’est surtout en duo avec Caballero que leur carrière explose, dépassant même les frontières du pays. Inutile de s’étendre sur leur bromance ou sur leurs projets communs – le public les connaît déjà par cœur. Pourtant, l’une des clés de leur succès réside dans leur complémentarité et leur approche authentique, mêlant d’exigence musicale, d’humour et autodérision. Le duo l’a bien compris avec le programme High & Fines Herbes : plus qu’un simple divertissement, c’est une véritable image de marque. Ils la déclinent à travers leurs mixtapes, leurs show et plus récemment, leur média. lien

En solo, il a su s’affranchir de son image de marque du duo pour se bonifier tel un bon vin. Ses projets lui offrent l’espace créatif pour ses prods inventives et ses rimes toujours plus précises. Dans le dernier Grünt filmé à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, JJ est impressionnant de maîtrise, jonglant entre différentes ambiances et distribuent ses barz et citations de pâtes, footballeurs et weed, dont ses fans raffolent.

Distributeur de caviar

Pour durer dans la musique, les chemins sont rares : le renouvellement s’impose souvent comme une nécessité. Certes, on pourrait citer pléthore de contre-exemples, notamment parmi les rappeurs qui perdurent avec la même recette. Pourtant, le rap est, par essence, un genre extrêmement versatile, et ses multiples styles en témoignent. Les sonorités évoluent sans cesse, et les beatmakers en sont souvent les principaux architectes.

JeanJass, lui, a tiré parti de sa casquette de producteur pour opérer un virage décisif dans sa carrière.

JeanJass, beatmaker avant tout

Dès ses débuts, ses productions ont alimenté son groupe, puis celles des autres. Le premier destinataire de ses beats ? Son acolyte Caballero. Dès le premier projet solo de ce dernier, « Pont de la Reine » (2014), JeanJass en signe l’intégralité de la production. Même au sein du duo, il glisse au moins un beat dans chaque sortie, bien que son rôle de beatmaker soit alors moins mis en avant.

À partir de son deuxième album, « Doudoune en été » (2022), son nom apparaît davantage dans les crédits. Surtout, JeanJass renoue avec sa passion première : l’art de la boucle et le travail des samples. Impossible de ne pas y voir l’influence d’un The Alchemist, qu’il cite d’ailleurs comme référence majeure. À l’image de son modèle californien, il se met à produire des EP entiers pour d’autres rappeurs, endossant pleinement le rôle de producteur exclusif.

 

En 2023, « Déjeuner en paix », fruit de la collaboration entre Mairo et JeanJass, marque les esprits. L’EP se distingue par ses sonorités résolument boom-bap ou drumless, qui mettent en valeur les rimes virtuoses du rappeur suisse. La même année, JeanJass s’associe à son complice carolo Fuku pour « PHOENIX », un projet aux accents plus modernes, démontrant ainsi l’étendue de sa palette musicale.

S’ensuivent des collaborations marquantes : « SCOPE » avec Kéroué (2024). Et cette année particulièrement, il a enchaîné les projets avec Jungle Jack, STI, deux rappeurs parisiens, côté Kurdy et Absolem pour l’excellent, « Double Impact ». Pas des noms ronflants du mainstream, mais bien des fines lames de la rime, des artistes pointus et techniques. Le résultat ? Des projets soignés, où JeanJass s’affirme comme un orfèvre des beats, ses boucles rivalisant d’inventivité.

Ces EP concis, parfaits pour l’ère du streaming et de l’écoute fragmentée, marquent un tournant dans sa carrière. JeanJass y confirme son statut de rappeur-beatmaker le plus prolifique de Belgique, bouclant ainsi la boucle entre ses débuts underground et son influence actuelle.