Le cas Damso

Depuis plus de dix ans, Damso occupe une place singulière dans le paysage du rap francophone : artiste à succès colossal, salué par la critique autant qu’adulé par le public, il est devenu un symbole qui dépasse largement Bruxelles. Mais si son ascension fulgurante a offert à la Belgique l’une de ses plus grandes fiertés musicales, elle révèle aussi ses contradictions : une figure ambiguë, des textes qui fascinent autant qu’ils dérangent, et une question toujours ouverte sur son véritable impact culturel.

Auteur: Mehdi Bouttier

Retour en 2014. À l’époque, je partageais régulièrement mes dernières pépites musicales avec une amie sur Facebook. Cette passion du digging se transformait parfois en grande découverte. Ce fut le cas, lorsqu’elle m’envoya deux clips d’un artiste inconnu des contrées françaises : Damso. Les clips d’« EGO » et « Le talent ne suffit pas » marquaient déjà par une certaine recherche esthétique malgré le côté artisanal. Surtout, ils me présentaient celui qui allait devenir l’une des plus grandes figures du rap francophone de ces dix prochaines années. Damso se démarquait déjà par sa voix charismatique, un talent pour le kickage et des textes percutants fournis en images folles.

Onze ans sont passés et Damso a sorti cette année, son sixième et ultime album, BĒYĀH. Un album qui pourrait clôturer l’une des plus grande carrière musicale du rap belge, faite d’une ascension fulgurante, de succès commerciaux, mais aussi pas mal de questions.

De OPG à Booba

Son début de carrière [officiel] est connu de tous : rencontre avec Booba qui le prend sous son aile, signature chez 92i et premiers faits d’armes. Couplet dévastateur sur « Pinocchio », freestyle radio en France et premier clip « Débrouillard », le buzz est désormais lancé !

Son premier album « Batterie Faible » sorti en 2016, est un véritable uppercut dans le rap francophone et assoit son style brut de décoffrage. Dans « Quotidien de baisé », il expose son mode de vie entre défonce et lubricité, « BruxellesVie » devient l’hymne de la capitale ou encore «Amnésie» où le rappeur revient
sur un épisode plus intime qui a fait couler beaucoup d’encre : l’histoire d’une ancienne conquête qui s’est suicidé à cause de sentiments non-réciproques. Un morceau que Damso regrettera à la suite de sa publication, et qui sera supprimé des plateformes pour une histoire de sample non déclaré.

Mais avant ce démarrage en pétard, Damso a eu tout un parcours dans l’underground bruxellois. Avec le producteur et rappeur Dolfa, ils fondent OPG (Original Players Gangster) en 2006 réunissant 5 membres : Ducke, Lio Brown, R.E.X. Leur unique sortie, la mixtape MMXIII (3013) sortie en 2014 a connu un
certain engouement dans la capitale belge. Inspiré par l’énergie de Chief Keef et la trap de l’époque, ce projet est une bonne photographie de l’évolution du rap street. La même année, Damso publiait Salle d’attente, un projet gratuit et une première carte de présentation où l’on retrouve « Le talent ne suffit pas ». Si un petit engouement était naissant à BX, c’est définitivement sa rencontre avec Booba et sa signature avec le 92i qui amorce son décollage.

 

Succès commerciaux et fascination des médias

Si Batterie Faible était déjà une sacrée réussite tant artistique que commerciale (rapidement disque d’or en France et en Belgique), c’est avec Ipséité qu’il met tout le monde d’accord. L’album considéré par beaucoup de ses fans comme le meilleur, est un condensé du style Damso: noirceur des lyrics, style brut, mais aussi des morceaux plus ouverts comme « Signaler », « Kin la Belle » ou le méga tube « Macarena ». Symbole de cette réussite, l’album est disque d’or en deux semaines, avant de s’écouler à plus d’un million d’exemplaires dans le monde.

Le personnage Damso se crée aussi via cet album. Le rappeur incarne un personnage froid, mystérieux à l’image de ses visuels et des jeux de pistes (titres d’albums peu commun, lettres grecques) qu’il entretient toute sa carrière. Devenu chouchou du public, il devient aussi objet de fascination pour les médias tant spécialisés que grands publics. Pour autant, il fait aussi l’objet de critiques sur l’apparente misogynie de ses textes.

 

En 2018, la fédération royale de football belge le choisit pour composer l’hymne qui représentera l’équipe belge à la coupe du monde à suivre. Le choix est vivement contesté par plusieurs sponsors (Proximus et AB inBev) et des associations féministes à cause des paroles jugées sexistes. La fédé cède aux pressions et la chanson « Humains » qui aurait dû être choisie ne paraîtra que dans son album suivant Lithopédion.

Dans cet épisode, Damso apparaît comme le miroir de la Belgique : symbole d’une société multiculturelle, parfois en décalage avec ses propres artistes. En interview, il fustige les institutions classiques, mais ne se place pas pour autant en réformateur. Cela n’empêche pas son ascension, où
chacune de ses sorties musicales devient un événement. De Lithopédion à QALF, ses albums sont audacieux pour les uns, décevants pour les autres, mais toujours très commentés et sollicités par le public. Chacune de ses sorties est diamant en France (500 000 ventes) ou triple platine en Belgique (30 000
ventes), ce qui fait de Damso, l’artiste belge le plus successful dans le monde !

QALF (+ sa réédition « Infinity »), son premier album sur son propre label est celui où sa créativité s’exprime pleinement. Il est à la fois intimiste sur « CŒUR EN MIETTES » ou « DEUX TOILES DE MER », revanchard sur « LIFE LIFE », vantard sur « DIAMANTS » ou « MOROSE » voir romantique
sur « 911 ». Dans « POUR L’ARGENT », il se mue presque en militant dénonçant l’avarice des dirigeants congolais. Toutes ces facettes représentent autant un artiste qu’un homme insaisissable.

Un storytelling parfois en contradiction

Le 30 mai dernier c’était jour de sortie de BĒYĀH, son sixième album. Le jour même, l’artiste participait à une séance de dédicace à la FNAC de Toison d’or. Dems arrivait sous les coups de 13h30, détendu, lunettes de soleil et large sourire sous le regard illuminé des fans venus en nombre. Ce partage avec le public vient répondre à son propre storytelling. Celle d’un artiste venu d’en bas qui atteint les sommets, tout en gardant une proximité avec ceux qui l’y ont propulsé.

Pour autant, sa place à Bruxelles est aussi questionnée : est-il plus une figure d’exportation plutôt qu’un produit local ? Car depuis quelques années, il se propage aussi le sentiment d’un enfermement artistique. Que ce soit ses interventions médiatiques récentes, parfois lunaires ou en coulisse où se multiplient, les rumeurs de brouille avec le cercle musicale belge ; tout cela fait jaser. Des collaborateurs de longue date comme Ikaz Boi et Prinzly, sont absents du tracklisting de BĒYĀH. D’autres évoquent des brouilles avec Hamza et son entourage…

Au niveau musical, ce dernier album est semblable à un gros blockbuster de Netflix : divertissant mais sans plus. Les sonorités y sont plus classiques, celles qu’on peut entendre chez d’autres poids lourds du rap francophone. Au niveau des thèmes, Damso aborde toujours autant l’amour, la trahison ou la célébrité,
mais ses lyrics retombent un peu dans les mêmes schéma de réflexion.

Pour autant, l’artiste garde ses prises de risques assumées. Sur « YA TENGO SENTIMENTOS », il chante en espagnol dans un morceau façon reggaeton, s’essaye au kompa dans « Qui m’a demandé » ou feat avec l’IA (?!). Il convie la chanteuse Sarah Sey, peu connue mais talentueuse dans le réussi « Pa Pa Paw ». Cette audace de mettre la lumière sur des talents prometteurs, il l’a annoncé sur Insta demandant à ses fans de lui proposer des artistes peu exposés afin qu’ils travaillent avec lui sur sa réédition à venir. lien instagram

En dix ans de carrière, Damso est devenu une icône, mais reste une énigme. Son héritage restera-t-il comme celui de classique indiscutable ou d’artiste controversé dont la Belgique n’a jamais su quoi faire ? Si son chapitre musical devrait prochainement se renfermer prochainement, trois concerts à Paris La
Défense Arena sont prévus en mai 2026, en guise de tournée d’adieu. Malgré sa performance aux Ardentes cet été, aucune date en Belgique n’a été annoncé, comme un symbole entre sa grande popularité en France et les questions sur son ancrage local. Quoi qu’il en soit, l’artiste reste ambitieux pour la suite de sa carrière, avec la volonté d’explorer d’autres chemins artistiques. Alors, verra-t-on bientôt un Damso au cinéma, dans la peinture ou une reconversion comme aventurier dans sa caravane ? Seul William Kalubi pourra y répondre.